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LE TANGO
Selon un amusant proverbe : « Les Mexicains descendent des Aztèques,
Les Péruviens descendent des Incas,
et les Argentins descendent... du bateau. »
Le Río de la Plata va devenir alors le deuxième plus grand
port d'immigration d'Amérique, après New York.
Les nouveaux immigrants viennent de toute l'Europe : Italiens (une
relative majorité d'immigrants étaient Italiens),
Espagnols,
Français, Allemands, Polonais, Russes, Ukrainiens, etc...
Michel Plisson décrit une rue populaire de Buenos Aires au début
du siècle : « Une échoppe de cordonnier noir,
une épicerie galicienne, un marchand de tissu catalan, un tenancier
d'hôtel français, des maçons napolitains
sur les chantiers, des colporteurs syriens, des Turcs fumant le
narguilé sur le trottoir, regardant passer des immigrés
russes qui se pressent à l'office de l'église orthodoxe.
»
Genèse du Tango dansé
Au tournant du siècle, dans le Río de la Plata, les danses de salon venues d'Europe, mazurkas, scottishs, valses... subissent l'influence des Noirs. Danses de Blancs, danses de Noirs, habaneras, s'influencent et s'imitent mutuellement.
Parmi elles, Il y a la milonga, qui appartient à cette catégorie de termes au contenu incertain (le terme est aussi d'origine africaine), et qui est aussi à l'origine du tango et dont l'origine se confond avec celui-ci. (Beaucoup d'œuvres intitulées milongas seront rebaptisées plus tard tangos).
R. Lynch Ventura écrit à propos de la forme dansée : « Ce sont les compadritos de la ville qui la dansent; ils l'ont inventée pour se moquer des danses que pratiquent les Noirs dans leurs bals. Elle a la même mesure* que le tambour du candombe. »
Michel Plisson écrit : « Les Noirs [anciens esclaves] empruntent de leurs anciens maîtres les danses de couples que la tradition africaine ignore. Les danses de salons européennes comme la mazurka, la polka se déforment à leur contact car les Noirs les investissent d'éléments culturels qui sont étrangers à ces danses. Le compadrito reprend des Noirs ces formules nouvelles, sans ce rendre compte, qu'en se moquant des Noirs, il invente dans la danse des pas nouveaux. Issue des figures du candombe, c'est dans les bas-fonds et les bordels que cette alchimie se produit. »
mesure : double croche – croche – double croche – croche – croche
À l'aube du XXe siècle, Tango et milonga sont des danses
liées aux bordels. Il y a durant cette époque d'immigration
massive, presque trois hommes pour une seule femme. La concurrence est
donc rude et, du fait de la rareté des femmes,
on danse souvent entre hommes. Le tout sur fond de nostalgie du
pays éloigné, de pauvreté, du désir inassouvi.
Les accents de cette danse naissante, incitera, à leur tour,
les musiciens pour modifier les contours de la musique
qui accompagnait la danse. Dans ces petits orchestres, la guitare
et la flûte prédominent, bien avant que ne s'impose progressivement
le bandonéon.
Le tango émerge de cette alchimie entre, d'un coté, les
Noirs qui métissent leurs danses avec les danses européennes
de salons, et de l'autre, les Blancs qui se moquent des Noirs en
singeant leurs figures. Le tango dansé présente ainsi
à cette époque un aspect provocant et insolant qu'il perdra au
fur et
à mesure de son ascension sociale. On nomme
souvent ce style originel du tango dansé, tango canyengue. Ce style
caractéristique, révélant les origines nègres
du tango,
est encore revendiqué par certains danseurs aujourd'hui. Il est
relativement peu pratiqué en bal, mais régulièrement
lors de démonstrations.
Pour la musique, Michel Plisson s'amuse à résumer ainsi
le résultat de ce métissage qu'est le tango : « une
rythmique afro, des musiciens italiens jouant sur des instruments allemands
des mélodies d'Europe de l'Est avec des paroles qui viennent
des zarzuelas espagnoles. »
Au début du XXe siècle, de nombreux jeunes hommes de bonne
famille aimant à
s'encanailler et à séduire facilement,
vont découvrir le tango. Il leur est cependant impossible de danser
cette danse, immorale aux yeux de leur classe, avec
les jeunes filles de leur milieu.
C'est donc à Paris, lors de leurs voyages initiatiques de jeunes
bourgeois, qu'ils initieront la société parisienne, cosmopolite
et à l'affût de toutes les nouveautés pour s'égayer, à cette
danse des bouges et des tripots. Très vite, le tango va être
adopté par la capitale française. Choyé, il acquerra
ainsi ses lettres de « bourgeoisie ». C'est grâce à cette
aura européenne que
le tango se diffusera dans la bonne société argentine et
uruguayenne, en retournant ainsi sur ses terres natales.
Après la crise de 29, le tango se démode fortement en
Europe (où il s'intégrera marginalement en temps que danse
standardisée aux danses musettes, de salon et de compétition),
exception faite de la Finlande qui en fera sa danse de salon.
Le tango retourne alors principalement sur le Rio de la Plata.
Du début du siècle aux années 30, la danse évolue
et des pas plus complexes apparaissent, pendant que le tempo du tango
se ralentit fortement : Des années 1910 où le rythme du
tango, rapide, est encore confondu avec celui de la milonga,
au années 30, le tempo devient – globalement – le plus
lent de toute son histoire. Le tango dansé se pratique alors sur
des tangos, des milongas, et des valses. Cette période de l'histoire
du tango se nomme la Vielle Garde (Guardia Vieja).
Depuis les années 1990 : Renaissance du tango
Dans les années 1980, une série de spectacles nommés
Tango Argentino, fait plusieurs tournées mondiales.
Avec ce spectacle, de nombreux Européens, notamment des danseurs
contemporains, se rendent compte que le tango
est autre chose qu'une simple danse musette. Renouant avec le Rio
de la Plata, en voyageant
à Buenos Aires ou en invitant des danseurs argentins, ils commencent à apprendre
cette danse d'improvisation et à l'enseigner, avec un succès
progressif. Cela va stimuler progressivement le tango à Buenos
Aires, et le faire renaître de ses cendres. Si, au début
des années 1990 rares sont les jeunes dans les milongas de Buenos
Aires à le pratiquer, dix ans plus tard c'est l'explosion. Cette
série de spectacles Tango Argentino a joué le rôle
de défibrillateur du tango.
Vers la fin des années 1990, le tango (alors dit argentin par
opposition au tango musette ou de salon), bien qu'il se développe
progressivement en Europe, y est encore une danse underground. Avec les
séjours permanents ou successifs de Maestros argentins (Pablo Veron
et Teresa Cunha à Paris, Tété en Hollande, etc.),
le tango se démocratise : partout dans le monde,
les milongas et lieux de tango se multiplient. Par exemple, à Paris,
entre 1998 et 2001, la fréquence des milongas
a quadruplé, passant de quatre soirs par semaine en moyenne, à
2 ou 3 lieux différents pour danser chaque soir...
Après 2001, la progression du tango s'est ralentie.
Opposition entre « tango rioplatense » et « tango de salon »
Après la folie du tango en occident dans les années 1920, le tango s'est démodé fortement, mais il est alors devenu une danse de plus parmi les danses de salon standardisées.
Dans les années 90, lors de la renaissance, en Europe et dans
le monde, du tango originel du Rio de la Plata (mais qui, pendant le siècle,
a beaucoup évolué, cf. styles historiques du tango), celui-ci
fut qualifié par l'adjonction du qualificatif argentin, pour éviter
la confusion et le distinguer du tango de salon, qui, en Europe, fut le
plus connu et le plus pratiqué pendant 60 ans, jusque dans les
années 90. En effet, le tango façon danse de salon est une
danse plutôt répétitive aux pas standardisés
(succession de séquences), où les bustes restent droits
et assez fixes, plutôt pratiquée lors de bals dits rétro,
parmi les autres danses de salon. Le tango du Rio de la Plata,
quand à lui, est une danse d'improvisation, où aucun pas
et aucune séquence ne se répète, qui n'a de cesse
d'évoluer, où les bustes sont souples et parfois mobiles.
Ensuite, avec le développement et le succès mondial de
ce tango-là, le qualificatif argentin fut de moins en moins
employé depuis 2001, la confusion étant devenue moins probable,
mais aussi par respect pour les Uruguayens : en effet,
ils ne dansent pas moins le tango que les Argentins, et cette musique
fait tout autant partie de leur culture que de celle de leurs voisins
argentins. Et, même si la ville de Montevideo est aujourd'hui 8
fois moins grande que Buenos Aires (au moment de la genèse du tango, à la
fin du xixe siècle, l'écart entre les deux villes n'était
pas si important), beaucoup de musiciens importants du tango sont uruguayens,
par exemple : La Cumparsita, le tango le plus célèbre et
le plus interprété (plus de 1500 interprétations
enregistrées) est uruguayen. Francisco Canaro, le chef d'orchestre
le plus prolifique du tango (le plus enregistré, et probablement
de tout genres confondus dans le monde), était uruguayen.
Aujourd'hui, dans le monde, quand on parle du "tango", sans
qualificatif, il s'agit presque toujours du tango rioplatense. Sinon,
pour parler du tango associé aux danses de salon, on dit « tango
de salon ». (...à ne pas confondre avec le style
tango salon, un style des années 40 du Rio de la Plata.)
Néanmoins, le tango dans l'imaginaire collectif européen
fut longtemps, et est encore souvent, associé à une danse
rétro,
de salon, voire de cabaret, c'est
à dire à un type d'énergie de danse très tonique
et parfois sec, que les amateurs de tango rioplatense trouvent même
parfois guindé ou raide, et qu'ils n'aiment pas beaucoup, car donnant
aux gens une fausse image, dans l'ensemble, de leur danse, à l'opposé de
ce qu'elle est: Le tango rioplatense a toujours été, dans
les bals, une danse
très fluide, souple, à terre et improvisée.
Technique du tango dansé
Le tango est d'abord une marche. On marche principalement sur les temps
forts de la mesure (les temps 1 et 3 de la mesure
à 4 temps du tango, le temps 1 de la mesure à 3 temps de la valse.)
Lorsque l'on danse un contretemps, la marche s'accélère brièvement
(on danse alors sur les temps forts et faibles). Le tango se danse à tous
les âges, et les maestros de tango
se produisent la plupart du temps jusqu'à leur mort. On raconte
même, qu'à Buenos Aires, un danseur très âgé s'économisait
de marcher et restait en fauteuil roulant, ne levant que sur la piste
du bal, pour danser.
Il n'existe pas de pas ou séquence conventionnelle qu'il faudrait
reproduire, ou apprendre par cœur. Le « pas de base »,
dit « salida » , est enseigné aux débutants
car il a des vertus pédagogiques, mais il est rarement pratiqué en
bal : un danseur qui guide sa partenaire n'a pas de raison d'effectuer
cette séquence particulière, et il apprend à se déplacer
sur la piste
sans penser aux pas. Les pas ne forment pas des séquences. Chaque
danseur danse selon son propre ressenti. Il n'y a pas,
et il n'y a pas lieu d'avoir, d'« école » de tango
proprement dite. Deux personnes ayant suivi les mêmes cours, pourront
avoir des styles très différents.
Le partenaire qui guide (traditionnellement l'homme), ne guide pas littéralement
avec les bras, ni avec les mains,
mais avec le buste, avec le poids du corps. Ce guidage qui semble
imperceptible vu de l'extérieur, est en fait infiniment
plus clair, pour le partenaire qui suit, que s'il était effectué directement
avec les bras. De fait, plus le guidage vient
de l'intérieur du corps, plus il est naturel, clair et fonctionnel.
(Et un danseur qui a « du mal à guider une partenaire »
pour quelque raison, aura parfois tendance à « en rajouter
avec les bras ».) La danseuse suit pour garder l'axe du couple,
tout en gardant l'équilibre sur son propre axe, sans chercher à deviner
les pas à l'avance. C'est un jeu géométrique complexe
souvent hostile à l'analyse, permis par les possibilités
de positionnement relatif des deux corps en fonction de certains principes
de mouvements de marche. En aucun cas il ne s'agit de porter le poids
de l'autre, ou de faire porter son poids
à l'autre : c'est un langage de communication corporelle.
Cette marche improvisée à quatre jambes s'est enrichie au fil du temps.
Le tango est une danse en recherche permanente. Gustavo Naveira : « On ne connaît pas le fondement structurel et technique du tango. [...] Un danseur classique peut connaître jusqu’au dernier détail du travail de chacun de ses muscles lorsqu’il exécute tel ou tel mouvement. C’est-à-dire qu’il connaît la structure de son mouvement jusqu’aux plus petits détails. Il n’en est pas ainsi pour le tango. On en est encore à discuter si l’on doit ouvrir l’abrazo, qu’elle est la bonne distance, qu’elle est la lecture que l’on doit faire de la technique. Et il y a plus. Il n’y a pas de discussion consistante de quels sont les éléments constitutifs du tango. Dans le fond, on ne sait pas encore ce que l’on est en train de faire. ».