• Page 1
  • Page 2
  • Page 3
  • Page 4
  • Page 5
  • Page 6
  • Page 7
  • Page 8
  • Page 9

LE TANGO

Selon un amusant proverbe : « Les Mexicains descendent des Aztèques, Les Péruviens descendent des Incas,
et les Argentins descendent... du bateau. »

Le Río de la Plata va devenir alors le deuxième plus grand port d'immigration d'Amérique, après New York.
Les nouveaux immigrants viennent de toute l'Europe : Italiens (une relative majorité d'immigrants étaient Italiens),
Espagnols, Français, Allemands, Polonais, Russes, Ukrainiens, etc...

Michel Plisson décrit une rue populaire de Buenos Aires au début du siècle : « Une échoppe de cordonnier noir,
une épicerie galicienne, un marchand de tissu catalan, un tenancier d'hôtel français, des maçons napolitains
sur les chantiers, des colporteurs syriens, des Turcs fumant le narguilé sur le trottoir, regardant passer des immigrés
russes qui se pressent à l'office de l'église orthodoxe. »

Genèse du Tango dansé

Au tournant du siècle, dans le Río de la Plata, les danses de salon venues d'Europe, mazurkas, scottishs, valses... subissent l'influence des Noirs. Danses de Blancs, danses de Noirs, habaneras, s'influencent et s'imitent mutuellement.

Parmi elles, Il y a la milonga, qui appartient à cette catégorie de termes au contenu incertain (le terme est aussi d'origine africaine), et qui est aussi à l'origine du tango et dont l'origine se confond avec celui-ci. (Beaucoup d'œuvres intitulées milongas seront rebaptisées plus tard tangos).

R. Lynch Ventura écrit à propos de la forme dansée : « Ce sont les compadritos de la ville qui la dansent; ils l'ont inventée pour se moquer des danses que pratiquent les Noirs dans leurs bals. Elle a la même mesure* que le tambour du candombe. »

Michel Plisson écrit : « Les Noirs [anciens esclaves] empruntent de leurs anciens maîtres les danses de couples que la tradition africaine ignore. Les danses de salons européennes comme la mazurka, la polka se déforment à leur contact car les Noirs les investissent d'éléments culturels qui sont étrangers à ces danses. Le compadrito reprend des Noirs ces formules nouvelles, sans ce rendre compte, qu'en se moquant des Noirs, il invente dans la danse des pas nouveaux. Issue des figures du candombe, c'est dans les bas-fonds et les bordels que cette alchimie se produit. »


mesure : double croche – croche – double croche – croche – croche

À l'aube du XXe siècle, Tango et milonga sont des danses liées aux bordels. Il y a durant cette époque d'immigration massive, presque trois hommes pour une seule femme. La concurrence est donc rude et, du fait de la rareté des femmes,
on danse souvent entre hommes. Le tout sur fond de nostalgie du pays éloigné, de pauvreté, du désir inassouvi.

Les accents de cette danse naissante, incitera, à leur tour, les musiciens pour modifier les contours de la musique
qui accompagnait la danse. Dans ces petits orchestres, la guitare et la flûte prédominent, bien avant que ne s'impose progressivement le bandonéon.

Le tango émerge de cette alchimie entre, d'un coté, les Noirs qui métissent leurs danses avec les danses européennes
de salons, et de l'autre, les Blancs qui se moquent des Noirs en singeant leurs figures. Le tango dansé présente ainsi
à cette époque un aspect provocant et insolant qu'il perdra au fur et à mesure de son ascension sociale. On nomme
souvent ce style originel du tango dansé, tango canyengue. Ce style caractéristique, révélant les origines nègres du tango,
est encore revendiqué par certains danseurs aujourd'hui. Il est relativement peu pratiqué en bal, mais régulièrement
lors de démonstrations.

Pour la musique, Michel Plisson s'amuse à résumer ainsi le résultat de ce métissage qu'est le tango : « une rythmique afro, des musiciens italiens jouant sur des instruments allemands des mélodies d'Europe de l'Est avec des paroles qui viennent
des zarzuelas espagnoles. »

Au début du XXe siècle, de nombreux jeunes hommes de bonne famille aimant à s'encanailler et à séduire facilement,
vont découvrir le tango. Il leur est cependant impossible de danser cette danse, immorale aux yeux de leur classe, avec
les jeunes filles de leur milieu.

C'est donc à Paris, lors de leurs voyages initiatiques de jeunes bourgeois, qu'ils initieront la société parisienne, cosmopolite
et à l'affût de toutes les nouveautés pour s'égayer, à cette danse des bouges et des tripots. Très vite, le tango va être adopté par la capitale française. Choyé, il acquerra ainsi ses lettres de « bourgeoisie ». C'est grâce à cette aura européenne que
le tango se diffusera dans la bonne société argentine et uruguayenne, en retournant ainsi sur ses terres natales.

Après la crise de 29, le tango se démode fortement en Europe (où il s'intégrera marginalement en temps que danse standardisée aux danses musettes, de salon et de compétition), exception faite de la Finlande qui en fera sa danse de salon.
Le tango retourne alors principalement sur le Rio de la Plata.

Du début du siècle aux années 30, la danse évolue et des pas plus complexes apparaissent, pendant que le tempo du tango
se ralentit fortement : Des années 1910 où le rythme du tango, rapide, est encore confondu avec celui de la milonga,
au années 30, le tempo devient – globalement – le plus lent de toute son histoire. Le tango dansé se pratique alors sur
des tangos, des milongas, et des valses. Cette période de l'histoire du tango se nomme la Vielle Garde (Guardia Vieja).

Depuis les années 1990 : Renaissance du tango

Dans les années 1980, une série de spectacles nommés Tango Argentino, fait plusieurs tournées mondiales.
Avec ce spectacle, de nombreux Européens, notamment des danseurs contemporains, se rendent compte que le tango
est autre chose qu'une simple danse musette. Renouant avec le Rio de la Plata, en voyageant à Buenos Aires ou en invitant des danseurs argentins, ils commencent à apprendre cette danse d'improvisation et à l'enseigner, avec un succès progressif. Cela va stimuler progressivement le tango à Buenos Aires, et le faire renaître de ses cendres. Si, au début des années 1990 rares sont les jeunes dans les milongas de Buenos Aires à le pratiquer, dix ans plus tard c'est l'explosion. Cette série de spectacles Tango Argentino a joué le rôle de défibrillateur du tango.

Vers la fin des années 1990, le tango (alors dit argentin par opposition au tango musette ou de salon), bien qu'il se développe progressivement en Europe, y est encore une danse underground. Avec les séjours permanents ou successifs de Maestros argentins (Pablo Veron et Teresa Cunha à Paris, Tété en Hollande, etc.), le tango se démocratise : partout dans le monde,
les milongas et lieux de tango se multiplient. Par exemple, à Paris, entre 1998 et 2001, la fréquence des milongas
a quadruplé, passant de quatre soirs par semaine en moyenne, à 2 ou 3 lieux différents pour danser chaque soir...

Après 2001, la progression du tango s'est ralentie.

Opposition entre « tango rioplatense » et « tango de salon »

Après la folie du tango en occident dans les années 1920, le tango s'est démodé fortement, mais il est alors devenu une danse de plus parmi les danses de salon standardisées.

Dans les années 90, lors de la renaissance, en Europe et dans le monde, du tango originel du Rio de la Plata (mais qui, pendant le siècle, a beaucoup évolué, cf. styles historiques du tango), celui-ci fut qualifié par l'adjonction du qualificatif argentin, pour éviter la confusion et le distinguer du tango de salon, qui, en Europe, fut le plus connu et le plus pratiqué pendant 60 ans, jusque dans les années 90. En effet, le tango façon danse de salon est une danse plutôt répétitive aux pas standardisés (succession de séquences), où les bustes restent droits et assez fixes, plutôt pratiquée lors de bals dits rétro,
parmi les autres danses de salon. Le tango du Rio de la Plata, quand à lui, est une danse d'improvisation, où aucun pas
et aucune séquence ne se répète, qui n'a de cesse d'évoluer, où les bustes sont souples et parfois mobiles.

Ensuite, avec le développement et le succès mondial de ce tango-là, le qualificatif argentin fut de moins en moins
employé depuis 2001, la confusion étant devenue moins probable, mais aussi par respect pour les Uruguayens : en effet,
ils ne dansent pas moins le tango que les Argentins, et cette musique fait tout autant partie de leur culture que de celle de leurs voisins argentins. Et, même si la ville de Montevideo est aujourd'hui 8 fois moins grande que Buenos Aires (au moment de la genèse du tango, à la fin du xixe siècle, l'écart entre les deux villes n'était pas si important), beaucoup de musiciens importants du tango sont uruguayens, par exemple : La Cumparsita, le tango le plus célèbre et le plus interprété (plus de 1500 interprétations enregistrées) est uruguayen. Francisco Canaro, le chef d'orchestre le plus prolifique du tango (le plus enregistré, et probablement de tout genres confondus dans le monde), était uruguayen.

Aujourd'hui, dans le monde, quand on parle du "tango", sans qualificatif, il s'agit presque toujours du tango rioplatense. Sinon, pour parler du tango associé aux danses de salon, on dit « tango de salon ». (...à ne pas confondre avec le style
tango salon, un style des années 40 du Rio de la Plata.)

Néanmoins, le tango dans l'imaginaire collectif européen fut longtemps, et est encore souvent, associé à une danse rétro,
de salon, voire de cabaret, c'est à dire à un type d'énergie de danse très tonique et parfois sec, que les amateurs de tango rioplatense trouvent même parfois guindé ou raide, et qu'ils n'aiment pas beaucoup, car donnant aux gens une fausse image, dans l'ensemble, de leur danse, à l'opposé de ce qu'elle est: Le tango rioplatense a toujours été, dans les bals, une danse
très fluide, souple, à terre et improvisée.

Technique du tango dansé

Le tango est d'abord une marche. On marche principalement sur les temps forts de la mesure (les temps 1 et 3 de la mesure
à 4 temps du tango, le temps 1 de la mesure à 3 temps de la valse.) Lorsque l'on danse un contretemps, la marche s'accélère brièvement (on danse alors sur les temps forts et faibles). Le tango se danse à tous les âges, et les maestros de tango
se produisent la plupart du temps jusqu'à leur mort. On raconte même, qu'à Buenos Aires, un danseur très âgé s'économisait de marcher et restait en fauteuil roulant, ne levant que sur la piste du bal, pour danser.

Il n'existe pas de pas ou séquence conventionnelle qu'il faudrait reproduire, ou apprendre par cœur. Le « pas de base »,
dit « salida » , est enseigné aux débutants car il a des vertus pédagogiques, mais il est rarement pratiqué en bal : un danseur qui guide sa partenaire n'a pas de raison d'effectuer cette séquence particulière, et il apprend à se déplacer sur la piste
sans penser aux pas. Les pas ne forment pas des séquences. Chaque danseur danse selon son propre ressenti. Il n'y a pas,
et il n'y a pas lieu d'avoir, d'« école » de tango proprement dite. Deux personnes ayant suivi les mêmes cours, pourront avoir des styles très différents.

Le partenaire qui guide (traditionnellement l'homme), ne guide pas littéralement avec les bras, ni avec les mains,
mais avec le buste, avec le poids du corps. Ce guidage qui semble imperceptible vu de l'extérieur, est en fait infiniment
plus clair, pour le partenaire qui suit, que s'il était effectué directement avec les bras. De fait, plus le guidage vient
de l'intérieur du corps, plus il est naturel, clair et fonctionnel. (Et un danseur qui a « du mal à guider une partenaire »
pour quelque raison, aura parfois tendance à « en rajouter avec les bras ».) La danseuse suit pour garder l'axe du couple,
tout en gardant l'équilibre sur son propre axe, sans chercher à deviner les pas à l'avance. C'est un jeu géométrique complexe souvent hostile à l'analyse, permis par les possibilités de positionnement relatif des deux corps en fonction de certains principes de mouvements de marche. En aucun cas il ne s'agit de porter le poids de l'autre, ou de faire porter son poids
à l'autre : c'est un langage de communication corporelle.

Cette marche improvisée à quatre jambes s'est enrichie au fil du temps.

Le tango est une danse en recherche permanente. Gustavo Naveira : « On ne connaît pas le fondement structurel et technique du tango. [...] Un danseur classique peut connaître jusqu’au dernier détail du travail de chacun de ses muscles lorsqu’il exécute tel ou tel mouvement. C’est-à-dire qu’il connaît la structure de son mouvement jusqu’aux plus petits détails. Il n’en est pas ainsi pour le tango. On en est encore à discuter si l’on doit ouvrir l’abrazo, qu’elle est la bonne distance, qu’elle est la lecture que l’on doit faire de la technique. Et il y a plus. Il n’y a pas de discussion consistante de quels sont les éléments constitutifs du tango. Dans le fond, on ne sait pas encore ce que l’on est en train de faire. ».